Comment lutter subtilement contre l'ennui au bureau?

Publié le 01/06/2017 à 06:06, mis à jour le 01/06/2017 à 06:27

Comment lutter subtilement contre l'ennui au bureau?

Publié le 01/06/2017 à 06:06, mis à jour le 01/06/2017 à 06:27

Gaston Lagaffe est l'employé gaffeur par excellence... Photo: GastonLagaffe.com

Saviez-vous que cette année correspond au 60e anniversaire de Gaston Lagaffe? Pour ceux qui n'ont jamais entendu ce nom, il s'agit d'un personnage de bande dessinée inventé par André Franquin en 1957, dont les gags paraissaient dans le Journal de Spirou. Nonchalant, paresseux et gaffeur, il symbolise l'anti-employé par excellence : il se cache dans une armoire pour fuir son boss, il a la fâcheuse manie d'accrocher le courrier à un cactus géant, il fait exploser son bureau par inadvertance, il parvient même à mettre le feu à un extincteur.

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Gaston Lagaffe est un employé du Journal de Spirou. Il est vaguement chargé de distribuer le courrier et de s'occuper des archives, autant de tâches qui lui passent par-dessus la tête, comme l'illustre ce dialogue avec Fantasio, l'un de ses premiers patrons :

– Fantasio. Qu'est-ce que vous faites ici?

– Lagaffe. J'attends.

– Vous attendez quoi?

– J'sais pas... J'attends...

– Qui vous a envoyé?

– On m'a dit de venir...

– Qui?

– Sais plus...

– De venir pour faire quoi?

– Pour travailler...

– Travailler comment?

– Sais pas... On m'a engagé...

– Mais vous êtes bien sûr que c'est ici que vous devenez venir?

– Beuh...

Son expression favorite est «M'enfin...» (la contraction de «Mais enfin...»), à laquelle rétorque le plus souvent son principal boss, Léon Prunelle, par le juron «Rogntudjuuu!», excédé par les gaffes de son employé. Autour de lui gravitent un grand nombre de personnages hauts en couleurs, à l'image de Lebrac (le dessinateur), Monsieur Boulier (le comptable), Mademoiselle Jeanne (son amoureuse) et Monsieur De Mesmaeker (l'homme d'affaires). Chaque fois qu'il croise l'un d'eux dans les couloirs du Journal, une catastrophe se produit, oui, une catastrophe si hilarante que le personnage est vite devenu un incontournable aux yeux des lecteurs.

Pourquoi est-ce que je vous parle de Gaston Lagaffe et de son 60e anniversaire? Eh bien, parce que j'ai mis la main sur un livre fantastique, intitulé Gaston Lagaffe philosophe (Couleur Livres, 2012) et signé par le philosophe belge Pierre Ansay. Un livre qui, l'air de rien, pourrait contribuer à améliorer votre quotidien au travail. Explication.

Comme chacun de nous, Gaston Lagaffe évolue au sein d'une organisation qui a à coeur d'être efficace, pour ne pas dire performante. Il faut que les deadlines soient respectés, que les réunions de travail soient tenues à l'heure, que l'information circule au mieux, etc. Ce qui nécessite que chacun donne son 110% dès que l'occasion se présente à lui.

Bien. Mais voilà, Gaston Lagaffe, lui, n'est pas dans cet état d'esprit. Loin de là. Il a plutôt à coeur d'avoir du bon temps, aussi bien dans sa vie privée qu'au travail, ne faisant aucune frontière entre les deux, contrairement à ses collègues. Il a pour seule préoccupation d'embellir la vie au bureau, de l'améliorer en l'égayant. Bref, il entend jouir, et non pas pâtir.

Voilà pourquoi M. Ansay perçoit le personnage de Franquin comme «un résistant». «Résister, c'est transformer un monde imposé en un autre monde que nous créons. L'espace d'un moment, nous sommes alors notre propre dieu», dit-il.

Et d'ajouter : «Gaston résiste dans l'espace où il est affecté : il transforme son bureau, ses portes, ses armoires, il y impose sa marque et ses goûts. (...) Il fait preuve de fantaisie face aux acteurs de l'ordre et du pouvoir. (...) Il tire profit du fait que les managers qui nous dirigent sont souvent si imbus d'eux-mêmes qu'ils passent à côté des micro-adaptations de ceux qui résistent, abreuvés qu'ils sont des premières impressions fallacieuses et vaporeuses que la résistance confectionne pour les duper.»

Fin connaisseur de la bande dessinée de Franquin, le philosophe belge a inventorié plusieurs «pratiques résistantes» de Gaston Lagaffe. En voici les principales :

> Jouer. «Jouer au lieu de travailler. Si le jeu est un apprentissage de la vie réelle, il est aussi le lieu, le temps et le moyen de s'en échapper; et dans le cas de Gaston, de s'évader en construisant autre chose», explique-t-il.

> Feinter le manager. «Gaston ne cesse d'inventer des dispositifs visant à faire croire qu'il travaille. Il est important de noter que Gaston ne sabote jamais son travail, même si son comportement s'apparente à la destruction de montages rationnels spécifiques à l'entreprise.»

> Vénérer l'ailleurs. «Plus que d'autres, Gaston personnalise son espace de travail : photos de plage, calendrier avec les jours de congé surlignés, etc. Il échappe ainsi à ce qui est colonisé par le manager, ce qui est sous contrôle et sous surveillance.»

> Se doter de plantes. «La plante, c'est l'organique opposé au minéral, la vie opposée à la directive. Elle est une manière à la fois douce et puissante de persister, sans laisser sa subjectivité se dégrader. À noter que Gaston a doté son bureau d'un immense cactus...»

> Amener un animal. «Au bureau, Gaston a un chat et une mouette rieuse, lesquels vivent en totale liberté.»

> Faire la sieste. «Gaston passe souvent son temps à inventer des fauteuils relaxants. Ou encore, à trouver le meilleur moyen de faire la sieste sans être dérangé.»

> Respirer. «Gaston attache une grande importance à arracher quelques précieux moments pour respirer, voire pour rêver. Car cela lui fait le plus grand bien.»

> Se débiner au bon moment. «L'idée, c'est de ne pas être là quand il le faut, quand les trompettes sonnent le ralliement des forces. Une tactique dont Gaston est un véritable champion : il parvient à ne pas être là où on l'attend, sans pour autant qu'on puisse le réprimander.»

> Se camoufler. «Le camouflage permet la persistance des activités clandestines, hors du regard du manager. Gaston réussit même le tour de force de disparaître de l'organigramme de l'entreprise, ce qui est le sommet de l'art du camouflage au travail.»

C'est clair, Gaston Lagaffe est un résistant exemplaire. Il sait user de la force d'inertie de l'entreprise pour propulser ses propres projets alternatifs, un peu à l'image du judoka qui se sert de la puissance de son adversaire pour le terrasser. Il sait retourner les situations à son avantage, alors que toutes les chances d'y parvenir sont a priori contre lui. Et ce, sans nuire franchement à qui que ce soit.

En vérité, Gaston Lagaffe est un... poète! Car il exprime pleinement la force incroyable dont chacun de nous dispose, mais préfère faire taire dès lors que nous mettons les pieds au travail, à savoir la «créativité poétique».

«Au fond, Gaston est un saint, pour lui comme pour ses collègues : ses transformations, ses errances, ses rêves confèrent du sens et épicent le quotidien au bureau. Ses exploits nous aident à trouver supportable notre vie au travail. Ils nous montrent que nous ne sommes pas si moches, ni si ternes, que ça», dit M. Ansay.

Mieux, la bande dessinée de Franquin nous indique une toute nouvelle façon d'aborder notre quotidien au travail, en lui conférant un peu de poésie au lieu de sombrer placidement dans l'ennui de la routine. Qu'est-ce à dire, au juste? C'est simple... La poésie est un jeu. En littérature, c'est un jeu avec les sons les rythmes, les images; au bureau, cela devient un jeu avec les us et les coutumes du travail en équipe, un jeu créatif et non pas destructif, bref, un jeu merveilleux. Grâce à sa subtile résistance, Gaston Lagaffe fait apparaître au grand jour non seulement la laideur, mais aussi la beauté de la vie au bureau. D'où l'idée d'agir désormais comme lui, en poète.

Comment, me direz-vous? Comme ceci, à mon avis :

> Qui entend lutter subtilement contre l'ennui au bureau se doit de saupoudrer son quotidien de poésie, à l'image de Gaston Lagaffe. Il lui faut prendre gentiment le contre-pied de la routine, en cherchant à mettre en évidence l'aspect plaisant des tâches à accomplir. Ce qui peut se faire le plus aisément du monde : par exemple, au lieu d'envoyer un courriel à un collègue pour lui demander quelque chose, on peut très bien se lever et aller lui en parler de vive voix, en lui offrant un petit chocolat; autre exemple, on peut très bien décider d'emmener son chaton au bureau durant la journée, ce qui changera radicalement la dynamique habituelle, à n'en pas douter. Idem, sans aller jusqu'à chercher à tirer au flanc par tous les moyens, on peut très bien envisager de faire une habitude de se promener dehors 15 minutes par jour sur l'heure du lunch, et – pourquoi pas? – en compagnie d'un collègue, histoire de discuter d'autre chose que du travail. Car ces petits gestes poétiques ne manqueront pas d'embellir la vie de tout un chacun au travail.

En passant, l'homme d'État athénien Démosthène disait : «Libre est la race des poètes».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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