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Les communications dans le contexte de plaintes de harcèlement au travail et l’actualisation de la politique en place

Parmi les sujets d’actualité prioritaires selon les gestionnaires en ressources humaines, la question du harcèlement au travail demeure importante en 2023 pour bon nombre d’entreprises. En effet, il oblige les responsables des milieux les plus variés à se demander si leur plan de communication et la politique en place sont adéquats et efficaces.
5 avril 2023
Me Isabelle Cantin, CRHA

Introduction

Dans le cadre de plaintes de harcèlement, il ne faut pas minimiser l’impact d’une communication adéquate. Ce processus signifie que l’employeur doit aviser les employés de ce qui se passe et se passera, les tenir informés, le cas échéant, de l’évolution du dossier et savoir quoi leur dire, notamment relativement à leurs questionnements si un rapport s’ensuit.

En effectuant cet exercice de réflexion, cette démarche pourra vous mener à vérifier si les objectifs et le champ d’application de votre politique doivent être revus, en particulier en ce qui concerne le traitement des plaintes et la question de la confidentialité. Examinons les sept points suivants : 

1. Avis

L’employeur qui déclenche une enquête devrait, le plus tôt possible, le confirmer aux parties. Certains le font verbalement, d’autres, par écrit, ce qui est sans doute souhaitable.

D’une part, la partie plaignante doit savoir que sa plainte sera examinée et par qui, tandis que, d’autre part, la partie mise en cause doit être informée qu’une plainte la vise et qui enquêtera.

Sur ces points, il est recommandé de procéder à des avis préliminaires par écrit, sous pli confidentiel. Ces avis transmis par l’employeur (idéalement en mains propres) n’ont pas besoin d’être élaborés à ce stade. Il suffit de décrire qu’une plainte de harcèlement a été formulée à une telle date, d’en donner la nature (p. ex., psychologique, sexuelle ou autre), d’informer qu’une enquête est déclenchée, de fournir le nom de l’enquêteur et d’aviser les parties qu’il communiquera avec elles, individuellement, pour leur fournir les détails nécessaires au sujet de la plainte ainsi que de la marche à suivre (méthodologie). Un rappel au sujet de la collaboration requise et de la confidentialité est de mise, et une copie de la politique applicable devrait être jointe. Par respect pour les parties, ces dernières devraient recevoir un avis similaire, le même jour. Par la suite, le moment venu, la partie mise en cause sera informée des faits qui lui sont reprochés, et ce, avant sa rencontre avec l’enquêteur pour lui permettre de s’y préparer.  

Dans le cas où des témoins sont concernés, une fois identifiés et sélectionnés pour une entrevue par l’enquêteur, ils n’auront droit de savoir que ce sur quoi leurs témoignages sont requis. Eux aussi devraient être informés, le moment venu, que l’enquêteur communiquera avec eux et ils devraient recevoir une copie de la politique.

Vu ce qui précède, il est primordial, lors de la préparation du mandat d’enquête et par la suite, que l’employeur et l’enquêteur s’entendent sur la méthodologie devant être suivie. Selon la Loi sur les normes du travail, les employeurs doivent avoir une politique de prévention du harcèlement psychologique et sexuel au travail et de traitement des plaintes. La méthodologie de traitement des plaintes devrait donc figurer à la politique.

Normalement, une fois les avis donnés, l’enquêteur explique aux personnes rencontrées individuellement comment il entend procéder (description des étapes, modalités, etc.) et quels sont les délais envisagés pour mener l’enquête, du début à la fin.

2. Évolution du dossier

Comme il arrive que certains dossiers se complexifient en cours de route et qu’en conséquence le travail prenne plus de temps que prévu, les parties qui ne seraient pas du tout informées quant à l’évolution de l’enquête pourraient s’en faire et être contrariées, parfois même au point d’affecter leur santé.

Il est important d’identifier à l’interne une personne (généralement la personne-ressource qui donne le mandat d’enquête) et de lui confier le soin de tenir les parties au courant de l’évolution de l’enquête ponctuellement. Normalement, son nom et son numéro de téléphone sont donnés aux personnes impliquées, qui sont invitées à s’y adresser directement, par écrit ou verbalement. Le message donné aux parties devrait être similaire. S’il est décidé de procéder verbalement, les échanges devraient être documentés au dossier. Habituellement, les témoins ne sont pas informés de l’évolution du dossier, à moins qu’il soit décelé un besoin spécifique chez l’un ou l’autre. Ce point présuppose que l’enquêteur tienne le client au courant. L’idée est de rassurer les parties sans avoir à entrer dans les détails et sans partager des renseignements nominatifs au sujet des témoins.

3. Remise du rapport

La remise du rapport aura été expliquée aux personnes rencontrées en entrevue par l’enquêteur. Si la personne-ressource l’a déjà expliqué ou encore lorsque la politique aborde ce point, il suffira à l’enquêteur de réexpliquer le tout pour s’assurer que tout est clair. Si l’enquêteur doit joindre des recommandations, elles sont normalement confidentielles, et seules les personnes autorisées par l’employeur y auront accès.

Normalement et sous réserve de dispositions légales contraires, l’enquêteur dira aux parties et aux témoins, lors de ses premières rencontres individuelles, qu’il remettra son rapport à la personne-ressource, sous pli confidentiel. C’est elle qui verra à faire les suivis appropriés. En pratique, encore une fois sous réserve de dispositions légales contraires, ni les parties ni les témoins n’auront accès au rapport, les parties ne recevant qu’une communication, préférablement écrite, les informant des conclusions du rapport. Quant aux témoins, ils n’auront accès ni au rapport ni aux conclusions. Certains employeurs se contentent de les aviser que l’enquête est terminée et en profitent pour les remercier de leur collaboration. Cette étape se fait habituellement par écrit.

La participation dans le cadre d’une enquête peut indéniablement être source d’inconfort et générer des malaises pour plusieurs. C’est pour cette raison qu’il est permis aux parties d’être accompagnées par un observateur de leur choix, autre qu’une personne appelée à témoigner dans le dossier. Le fait de privilégier de bonnes communications en tenant les parties au courant de l’évolution du dossier ne peut être que positif. Les employeurs proactifs qui auront pris le temps de s’assurer 1) que la politique en place est claire et qu’elle contient les informations utiles au sujet de la méthodologie et 2) que cette politique est publicisée, notamment en faisant de la formation, auront déjà franchi un grand pas vers l’atteinte d’un des objectifs, soit favoriser un environnement de travail exempt de harcèlement.

4. Objectifs de la politique

Dans le passé, la majorité des politiques visaient seulement le harcèlement psychologique en milieu de travail. Maintenant, il faut plus que jamais se demander, compte tenu de l’expérience, s’il est approprié d’élargir les objectifs en englobant d’autres thèmes, comme la civilité, le respect et le bien-être, sachant que des écarts de conduite dans ces domaines peuvent, s’ils existent et ne sont pas traités, dégénérer. 

5. Champ d’application

Compte tenu des aménagements de travail de plus en plus flexibles et de la popularité du travail à distance (télétravail), il est essentiel que les personnes concernées comprennent bien que le lieu du travail n’est pas limité au bureau ou à l’usine. Il vise en effet tout endroit où la prestation de travail est accomplie, durant les heures normales de travail et à l’extérieur de celles-ci. En d’autres mots, la conduite exigée doit être la même qu’en présentiel au bureau ou à l’usine, d’où l’intérêt de bien le préciser dans la politique. Les tiers avec lesquels l’entreprise fait affaire doivent quant à eux bien comprendre qu’ils sont aussi assujettis à une conduite exempte de harcèlement et respectueuse lorsqu’ils interagissent avec les employés et que tout manquement sera sanctionné. À ce titre, il serait prudent d’ajouter des clauses précises dans les contrats avec les tiers (fournisseurs, clients, bénévoles, etc.). De cette manière, les attentes seront claires pour tous.

6. Le traitement des plaintes

Plus le libellé est compliqué, plus difficile il sera de l’expliquer, de le faire comprendre et de l’appliquer. Le traitement des plaintes verbales et écrites (ce qui peut aussi inclure les cas de signalements ou de dénonciations) doit être rigoureux et se décliner en étapes. Comme vous le savez, tous les cas doivent être traités, mais pas nécessairement par le biais d’une enquête formelle, d’où l’importance de prévoir des mesures d’analyse préliminaire ou d’analyse de recevabilité, accompagnées ou non, selon les cas, de mesures intérimaires afin de déterminer l’approche à privilégier. Ces mesures d’analyse sont en effet un excellent moyen de triage et permettent de mieux traiter le dossier. L’analyse préliminaire fait la lumière (sans juger le mérite) sur ce dont il s’agit et influence le choix d’une intervention plutôt que d’une autre pour traiter la situation. En outre, plusieurs l’ont mentionné pour l’avoir vécu : il ne faut pas sous-estimer la valeur d’une médiation déclenchée, si appropriée, une fois que les parties impliquées auront accepté de s’y soumettre. Un tel mécanisme peut être surprenant. En effet, selon l’expérience, le taux de succès est généralement assez élevé. Les coûts sont aussi moindres, et l’idée de permettre aux parties de s’investir pour trouver une solution est une approche gagnante.

7. La question de la confidentialité

Ce volet est sans contredit l’un des plus délicats et, pour cette raison, il mérite d’être inclus dans une politique. En effet, les parties et les témoins se questionnent souvent sur l’étendue de la confidentialité. Même avant qu’il y ait une plainte, chacun devrait savoir que les faits rapportés sont assujettis à la confidentialité dès qu’une situation est rapportée ou à chaque fois, s’il existe des motifs raisonnables, qu’un employeur décide d’intervenir, même en l’absence d’une plainte ou d’une dénonciation. Bien entendu, il existe des exceptions à cette règle. Par exemple, les personnes qui, en raison de leurs fonctions, ont pour mandat de traiter les cas devront avoir accès aux informations. De même, la partie plaignante doit savoir que la partie visée sera avisée de ce qui lui est reproché tandis que les témoins interrogés pourront, au besoin, être mis au courant de certains faits pour pouvoir donner leur version. En outre, les parties et les témoins pourraient sentir le besoin de consulter un tiers (par ex., un professionnel) et de ce fait, ils pourraient partager de l’information.

Il est primordial de s’assurer que seules les personnes ayant besoin d’être informées le soient. Il faut à tout prix éviter du bavardage et du commérage, ce qui peut générer des rumeurs, du clivage et nuire considérablement aux personnes concernées et à leur réputation. L’une des façons privilégiées pour se prémunir de dérapages est de prévoir un engagement de confidentialité dans le corps même de la politique. Une fois qu’elle est remise et expliquée, elle fait partie des conditions de travail et génère des obligations. Il suffit alors, au fur et à mesure, de faire signer un engagement de confidentialité adapté au cas à l’étude aux personnes impliquées, y compris aux accompagnateurs, le cas échéant.   

 

Conclusion

Quelles que soient les bonifications apportées à votre plan de communication et à votre politique, les enjeux principaux à considérer seront de s’assurer que l’ensemble des actions et le contenu de votre politique (y compris son titre) demeurent cohérents, que les étapes décrites pour faire respecter la politique soient claires et que toutes les personnes à qui elle s’applique en comprennent la teneur et adhèrent aux objectifs et au contenu.

Pour y arriver, il faut évidemment bien connaître et comprendre le milieu, savoir identifier les besoins, notamment à partir d’expériences vécues, ne pas hésiter à engager des discussions avec les partenaires et employer un langage simple et clair. Outre le traitement des cas avec objectivité et diligence (les inactions du passé pouvant refaire surface à n’importe quel moment), l’accent sur la prévention et la formation ponctuelle sont des atouts incontestables.   


Me Isabelle Cantin, CRHA Avocate Isabelle Cantin

Source : Vigie RT, avril 2023