On dit qu’à quelque chose malheur est bon. Alors, j’espère que la fermeture du tunnel sous le Mont-Royal sera l’élément déclencheur qui poussera les entreprises à mettre la pédale à fond sur le télétravail.

À l’heure où l’on cherche par tous les moyens à réduire les gaz à effet de serre, les employeurs devraient vaincre leurs réticences et privilégier cette formule gagnante pour tous : l’employeur, l’employé et l’ensemble de la société.

À partir du 30 mars, les lignes de train de banlieue de Deux-Montagnes et Mascouche seront interrompues pour permettre la construction du REM, un arrêt qui touchera 20 000 personnes travaillant en bonne partie au centre-ville.

Courage pour se rendre au boulot !

« Est-ce que ce sera long ? Oui ! Est-ce que ça crée de l’inquiétude chez nos employés ? Oui, tout comme dans le reste de la population. Est-ce qu’on a eu des démissions ? Oui, comme dans les autres entreprises », répond France Toulouse, directrice du centre d’expertise ressources humaines chez VIA Rail.

Elle-même usagère du train de banlieue, Mme Toulouse entendait les commentaires des passagers inquiets de la fermeture de la ligne. Elle a étudié les codes postaux des employés de VIA Rail pour évaluer les conséquences.

Afin d’offrir plus de flexibilité à ses employés, l’entreprise installée à la Place Ville Marie a ouvert deux bureaux satellites à Laval et sur la Rive-Sud, en novembre dernier, et a choisi de favoriser le télétravail, depuis un an.

Les employés conservent leur bureau désigné au centre-ville, mais ils peuvent désormais travailler deux jours par semaine de l’extérieur. Ceux qui veulent se rendre dans un bureau satellite doivent y réserver un cubicule, pour la journée ou quelques heures.

Cela permet de libérer de l’espace au centre-ville où les bureaux se font rares. Au service des ressources humaines, les employés permanents signalent les journées où leur bureau sera libre, ce qui permet aux employés temporaires qui n’ont pas de poste attitré de s’y installer.

« Environ 20 % de la trentaine de bureaux sont en rotation, ce qui permet d’économiser des coûts », fait remarquer Mme Toulouse.

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« Pour les entreprises, les coûts locatifs sont énormes et elles doivent prendre conscience des économies qu’elles peuvent réaliser en mettant en place une structure de télétravail », indique Me Marianne Plamondon, avocate spécialisée en droit du travail chez Langlois Avocats et présidente sortante de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

Elle cite en exemple un employeur qui est parvenu à couper un étage sur trois au centre-ville. Au lieu d’avoir chacun leur bureau, les employés travaillent dans un espace collaboratif. Fini la photo des enfants sur le mur et les chaussures qui traînent sous le bureau ! Le matin, les travailleurs s’installent avec leur ordinateur portable et leur cellulaire au poste qu’ils ont réservé. Le soir, ils rangent leurs dossiers dans le classeur qui leur est attribué.

Quelques jours par semaine, ils peuvent rester chez eux.

Les études démontrent toutes une plus grande productivité à la maison pour les employés qui ont du travail qui exige de la concentration, car on diminue le nombre de distractions.

Me Marianne Plamondon, avocate spécialisée en droit du travail

Toutefois, les employés ont le fardeau d’aménager un espace de bureau fonctionnel à la maison. Et ces dépenses ne sont généralement pas déductibles d’impôt, sauf dans certaines circonstances lorsque leur contrat de travail exige qu’ils travaillent de la maison.

PHOTO MATTHEW CAVANAUGH, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

À l’heure où l’on cherche par tous les moyens à réduire les gaz à effet de serre, les employeurs devraient vaincre leurs réticences et privilégier le télétravail, plaide notre chroniqueuse.

Malgré tout, les employés y trouvent leur compte. Ils évitent de longues heures perdues dans les transports. Ils économisent sur l’essence, le véhicule, les vêtements, la nourriture… Bilan : plus de flexibilité, moins de stress et une meilleure qualité de vie.

Pour les employeurs, le télétravail est devenu un avantage concurrentiel et un outil de recrutement. « En entrevue, les candidats ne se gênent pas pour poser la question : “Comment fonctionne votre télétravail ?” », rapporte Mme Toulouse.

C’est aussi une manière de lutter contre la pénurie de main-d’œuvre, car les gens qui vivent dans des régions plus éloignées peuvent accéder aux emplois de plus haut niveau qui se trouvent davantage dans les régions métropolitaines, sachant qu’ils n’auront à se rendre au bureau que quelques fois par mois.

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Malgré tout, les patrons ont encore des réticences.

Actuellement, moins de la moitié des professionnels au Canada (43 %) affirment que leur employeur leur offre la possibilité de travailler de l’extérieur du bureau, selon un sondage diffusé en janvier par la firme de recrutement Robert Half.

Les patrons craignent d’avoir du mal à superviser le travail et même de se faire voler du temps par leurs employés. Mais il est possible de baliser le télétravail pour éviter les dérapages. Par exemple, il faut l’offrir à des employés qui ont des objectifs et des résultats faciles à mesurer, faire signer une entente individuelle où les employés prennent un certain nombre d’engagements : être disponible et joignable en tout temps, ne pas avoir de personne à charge à la maison qui nuirait à la productivité…

La sécurité peut aussi freiner les employeurs. « Compte tenu de notre régime de santé et sécurité au travail, l’employeur doit s’assurer que le cadre de travail est sécuritaire et qu’il respecte la confidentialité », souligne Mme Plamondon.

Pour s’en assurer, l’employeur peut demander une photo de l’espace de travail, idéalement un espace fermé. On n’a pas le goût que les dossiers traînent sur la table de la cuisine lorsque le conjoint arrive. Certains patrons fournissent même un classeur à clé pour que les employés puissent ranger leurs dossiers à la fin de la journée.

Enfin, certains patrons ont peur que le télétravail réduise les interactions avec les collègues et l’esprit d’équipe, et nuise à la progression de carrière et à l’engagement des employés, surtout pour les travailleurs toujours à la maison.

Mais à l’inverse, les employés auront moins le goût de quitter le navire si le télétravail leur procure une belle qualité de vie.